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Alessandro Scarlatti: Profano e Sacro

« I imagined this program as a journey into the heart of Baroque Italy with these sumptuous palaces, mythical theaters and majestic churches: so many places which celebrated the tremendous talent of Alessandro Scarlatti. He knew, with such an original style, how to balance sophistication and simplicity in order to translate musically the most contrasted feelings from profane or sacred essence ». Dominique Corbiau.

Ce récital aborde les trois grands axes de la musique lyrique profane et sacrée d’Alessandro Scarlatti, à savoir l’Opéra que l’on donnait au théâtre, l’Oratorio que l’on donnait à l’église et la Serenata, sorte d’opéra miniature représenté dans les palais lors de somptueuses fêtes. A cette époque la vie religieuse et la vie quotidienne étaient intimement liées. La musique d’église et la musique de théâtre, comme la peinture, abordaient les sujets bibliques et mythologiques avec le même sens de la mise en scène.

L’évolution du style musical d’Alessandro Scarlatti est frappante. Dans ses jeunes années, son style évoque les compositeurs du premier baroque tels que Giacomo Carissimi (1605-1674) ou Alessandro Stradella (1639-1682). C’est manifeste dans l’ouverture de son oratorio « Il David» ainsi que dans celle de son premier opéra « Gli equivoci nel sembiante » que Scarlatti crée à Rome en 1679 alors qu’il n’avait que 18 ans et qui lança véritablement sa carrière dans toute l’Italie ; lui attirant notamment les faveurs et la protection de la Reine Christine de Suède.

Ensuite, en développant par exemple la fameuse aria da capo avec une reprise ornementée du thème initial, il fait évoluer la structure de l’Opera seria vers une forme qui restera le modèle de référence jusqu’à Mozart.

 

Il donne également du relief à son orchestration en enrichissant les airs de dialogues concertants entre la voix et un ou plusieurs instruments solistes. C’est le cas dans de nombreux airs de ce programme dont  « Aure, fonti » extrait de l’opéra « Il Ciro » dans lequel deux violons altos imitent le bruissement de l’air dans les feuillages d’un oasis. C’est le cas également dans le duo champêtre pour hautbois et basson de l’air « Quanto grata a questo core » ou dans le chant plaintif d’un rossignol évoqué par la douceur du traversodans «  Come di fronda in fronda ». Ces deux derniers airs proviennent de l’opéra « L’Amor volubile e tiranno », et sont chantés par deux personnages féminins, Elmira et Climene, incarnés sur scène par des castrats comme c’était l’usage à l’époque. Je pense aussi aux gracieuses arabesques de violon dans « Colomba innamorata », la colombe amoureuse un extrait de  «  Griselda » le dernier opéra de Scarlatti qui nous soit parvenu et dont le charme annonce déjà la romance classique de l’époque de Haydn et Mozart.

On attribue également à Alessandro Scarlatti l’invention du récitatif accompagné par l’orchestre dit « Accompagnato » qui souligne l’intensité dramatique de l’action. On le trouve entre autre dans « Or di strage » , un extrait de son oratorio « Il Primo Omicidio », ou éclate la colère de Dieu qui condamne Cain pour le meurtre d’Abel

La berceuse « Dormi o fulmine di Guerra » tirée de « La Giuditta » et chantée à l’oreille d’Holoferne par la nourrice de Judith -afin de venir à bout  de ses derniers instincts guerriers et de sa vigilance- est un merveilleux exemple du génie mélodique d’Alessandro Scarlatti. Un moment de pure simplicité, suspendu, en dehors du temps.

Comme pour « Griselda», « La Vergine Addolorata » est le dernier des oratorios de Scarlatti qui nous soit parvenu. Le rôle principal de la Vierge qui comprend essentiellement de longues déplorations sur la mort du Christ a été écrit pour le célèbre castrat Matteo Sassano, dit « Matteuccio » ou encore «  Le Rossignol de Naples ». Sassano était spécialiste du style pathétique. Sa voix, d’une douceur surnaturelle, arrachait des larmes au cœur le plus endurci. Il avait déjà 50 ans lors de la création de « La Vergine Addolorata » et les témoignages de l’époque affirment que Sassano chantait encore jusqu’à la veille de sa mort à l’âge de 70 ans, sans que sa voix ne se soit jamais altérée

L’air « Col suo flebil mormorio », certainement l’un des plus beaux et des plus émouvants de ce drame sacré évoque le murmure de la rivière dont les flots accompagnent les pleurs de Marie qui soupire accompagnée par le chant d’un rossignol dans le lointain.

La Serenata « Venere, Amore e Ragione » composée pour Rome est intéressante à plus d’un titre. Tout d’abord pour sa très belle ouverture en trois mouvements totalement dans l’esprit des concerti grossi de son collègue et ami Arcangelo Corelli (1653-1713) mais également parce qu’elle comprend toute une série d’intermèdes et d’airs à danser qui la rapproche de l’opéra-ballet à la française, le divertissement emblématique de la cour de Versailles, mais assez peu répandu en Italie. Alessandro Scarlatti réalise là un mélange des genres tout à fait étonnant entre le style français et les danses populaires en vogue en Italie à cette époque. On trouve par exemple parmi les airs du personnage de Ragione, l’allégorie de la raison, « Un vero amore » une tarentelle napolitaine, « O pastorelle » un menuet et « Quella ninfa » une danse à l’espagnole se rapprochant d’un fandango.